Historique
|
Cet ao, le kavakava à plumes du dessin de la cabine et le tahonga conservé dans la maison de Rochefort-sur-Mer sont les objets rapanui les plus anciens de la collection de Pierre Loti. Portant les stigmates d'une longue existence, ils participaient encore aux cérémonies et aux fêtes six ans avant l'escale de la Flore. Dans les collectes du temps de la mission (1866-1871), rares sont les oeuvres altérées par les moisissures et les xylophages. Elles commencent à apparaître lors du passage de la Flore et se multiplieront par la suite. L'abandon de l'île par ses habitants avait libéré les tombeaux du respect dû aux morts ; sans crainte des représailles, les derniers insulaires sont allés chercher ces trésors dans les sépultures familiales ou les maisons ruinées des absents. L'état de surface de l'ao du MHNT pourrait indiquer un gisement de ce type.
|
Description
|
L'objet a été sculpté dans une planche extraite axialement et en plein cœur du fût d'un Thespesia populnea, le makoi, arbre sacré à Rapa Nui comme partout en Polynésie. Cet arbre bien droit, d'un diamètre d'au moins 200 mm, mesurait une dizaine de mètres de hauteur. La pale supérieure présente une section lenticulaire aplatie à bords mousses; elle est décorée, sur ses deux faces, par un visage schématique formé d'un bourrelet continu sculpté en champlevé, large et haut de 2 à 3 mm. Fait unique pour ce type d'objet, les yeux, ont été figurés sur les deux faces ; leur sclérotique occupe toute la largeur de l'arc orbitaire et leur iris est noté par une cupule. Ces yeux inhabituels, formant à l'origine un léger relief, ont été effacés ; cette opération, plus complète sur une des faces, en a fait presque disparaître un des yeux, que l'on devine à peine. La pale inférieure, de section lenticulaire aplatie à bords carénés, est prolongée axialement par un appendice en forme de pénis long de 165 mm. Son extrémité, écrasée, est incrustée de sédiment rouge, couleur fréquente du sol volcanique de Rapa Nui sur lequel l'objet, tenu en main, reposait. La hampe porte un poli de préhension très net sur une vingtaine de centimètres. Les parties saillantes : ornements d'oreilles, arête du nez, sourcils, sont émoussées. Les bords des pales, le chanfrein du gland de l'appendice et son extrémité portent des multiples traces de chocs, de compressions et d'arrachements, stigmates d'une vie cérémonielle longue et mouvementée. Sur l'arête du cou une douzaine de brèves incisions fines, rythmiques, parallèles, ont été faites par un tranchant très acéré (obsidienne ?) ; ces blessures évoquent éventuellement un geste magique offensif. Des traces de compressions linéaires transversales sur la hampe pourraient être, entre autres, celles du lien fixant l'objet à la paroi de la cabine de Julien Viaud. Aucune trace de colorants ni d'autres dépôts n'est visible, sauf un mastic noir (calfat européen ?), bouchant une longue fente de la pale supérieure et des cavités creusées dans les deux pales. L'objet semble allégé par la déshydratation ; sa surface est terne, comme lessivée ; les fibres du bois sont nettement visibles. Quelques galeries du petit xylophage de Rapa Nui (1 à 1,5 mm de diamètre) apparaissent par endroits.
|
Précision utilisation/destination
|
Cette pagaie en bois de thespesia populnea (makoi) fait partie des insignes de pouvoir de la société pascuane. Elle était portée par les dignitaires, vraisemblablement lors de la cérémonie annuelle pour la désignation de l'homme-oiseau. Cette compétition opposait les chefs de guerre dans la quête du premier œuf d'hirondelle. Le vainqueur jouissait alors de reconnaissance et de grands avantages pour l'année à venir. Cette pagaie 'ao' figure sur le dessin de Pierre Loti de sa cabine à bord de la Flore. les yeux du visage de la pale supérieure, pourtant très discrets, ont été notés par Julien Viaud (Pierre Loti).
|